Le hameau de Saillancourt se situe dans une position singulière, à l’une des extrémités de « l’anticlinal de Vigny ». Un anticlinal est un plissement sédimentaire qui résulte de puissantes forces de compression.
L’anticlinal de Vigny trouve son origine dans la tectonique des plaques avec la collision de l’Ibérie contre l’Eurasie, formant en premier lieu la chaîne des Pyrénées, et créant au-delà une succession de plis jusqu’au nord de la France, dont celui de « l’anticlinal du Pays de Bray » de plus grande ampleur.
Au sommet de l’anticlinal, là où le rayon de courbure est maximum, les contraintes structurales fracturent les couches sédimentaires. Il s’ensuit une vulnérabilité de la voute et une érosion de cette partie sommitale par les agents météoriques; d’où la morphologie générale apparente des anticlinaux en forme de « boutonnière ».
Les plus belles images de boutonnières (terme géologique consacré) proviennent généralement de photos satellites prises dans les zones désertiques, comme ci-dessous les monts MacDonnel en Australie où les séries sédimentaires plissées ont été érodées en leur sommet, comme « l’anticlinal de Vigny ».
En portant l’âge des différentes couches sédimentaires sur une carte topographique on obtient une carte géologique. La carte de l’anticlinal de Vigny, montre en son cœur des formations d’âge crétacé (avec un figuré vert et le code c6) que l’on attribue à l’étage stratigraphique nommé Campanien (d’après le village de Champagne en Charente-Maritime / 83,5 ± 0,7 et 70,6 ± 0,6 Millions d’années - Ma) et qui appartient à la partie supérieure du Sénonien (tirant son nom du peuple des Sénones qui habitait la région de Sens).
Le Crétacé, est l’époque du dépôt de la craie (d’après le latin creta). Il termine le mésozoïque, appelé aussi « l’ère des reptiles » ou « l’âge des dinosaures ».
Le village de Sagy et le hameau de Chardronville sont implantés dans des formations d’âge crétacé, tandis que les hameaux de Saillancourt, Le Grand Mesnil et le Petit Mesnil se trouvent bâtis dans l’Eocène (de eos, aube et kainos, nouveau en référence aux nouvelles espèces de mammifères qui apparaissent à cette époque).
La transition entre le Crétacé et l’Eocène est caractérisée mondialement par une couche très particulière riche en « irridium » correspondant à des événements catastrophiques attribués à l’impact d’une météorite dans le Yucatan et à une activité volcanique de grande ampleur ayant provoqué une extinction massive de la biodiversité il y a 65,5 ± 0,3 Ma.
Ce niveau repère, correspondant à la disparition des dinosaures, se serait situé à l’entrée du hameau de Saillancourt, s’il n’avait lui-même été érodé pendant le Paléocène (65,5 – 55,8 Ma) !
Suite à cette période d’érosion, les premiers sédiments (à la base du Tertiaire et au contact des terrains crétacés), que l’on recoupe en montant la rue de la Goupillère appartiennent à des étages géologiques nommés en fonction des lieux où ils ont été définis (âge et caractéristiques) :
- l’Yprésien, étage géologique de l’Eocène inférieur défini à partir des argiles d’Ypres et des sables à Nummulites Planulatus qui les couronnent. Cet étage est composé, d’une part, par le Sparnacien (55,8 ± 0,2 Ma – 50 Ma / « e3 » sur la carte, couleur saumon au contact du Crétacé « c6 » vert) dont la coupe type se situe à Epernay (de Sparnacum, nom latin d’Épernay) avec des argiles plastiques et les lignites, et d’autre part, le Cuisien (50 – 48,6 ± 0,2 Ma / e4 sur la carte, rose plus clair), dont le stratotype est situé à Cuise-la-Motte (Oise), avec des sables marquant le début de la transgression marine,
- le Lutétien, étage de l’Eocène moyen, qui s’étend de 48,6 à 40,4 ± 0,2 Ma / « e5 » couleur orange, et dont le nom est une référence à Lutèce (de Lutétia, Paris) : cette formation correspond à une nouvelle phase de transgression marine qui recouvre une grande partie de bassin de Paris.
Pendant plus de cinq millions d’années, terres de marécages au climat chaud et humide, Saillancourt et ses environs étaient habités d’oiseaux et de mammifères voisinant avec toutes sortes de reptiles : serpents, tortues et crocodiles. (Voir à ce propos la publication de D. E. Russell, F. de Broin, A. Galoyer, J. Gaudant, P. D. Ginderich et J.-C. Rage « Les Vertébrés du Sparnacien de Meudon », Bull. Inf. Géol. Bass. Paris, (1990) Vol.27, N°4, p. 21-31).
http://www-personal.umich.edu/~gingeric/PDFfiles/PDG223_VertSparnacien.pdf
Parmi les oiseaux figurait le Gastornis ou oiseau de Gaston (Gast-ornis, de Gaston et du grec ornithos signifiant « oiseau »), qui doit son nom à Gaston Planté, qui, en 1869, étudia les ossements de cet oiseau géant découverts quelques années plus tôt sur le site de la carrière des Montalets à Meudon. Atteignant 1,75 m à 2 m de haut, il vivait dans les forêts tropicales et les marécages du début de l’Eocène, entre 56 et 41 Ma.
Nul doute qu’à cette époque ce prédateur, en droite lignée des dinosaures du Crétacé, chassait aussi dans les marécages de Saillancourt se nourrissant de petits mammifères du genre Propalaeotherium ou Leptictidium.
Les mœurs du Gastornis s’apparentaient à celles des autruches, ainsi il construisait son nid au sol. Son extinction est probablement due à des mammifères prédateurs de ses œufs, tels l’Arctocyon, le Créodonte, le Mesonychia et le Hyaenodon apparu en 41 Ma, époque à laquelle le Gastornis a disparu. Dans la grande arborescence de l’évolution il serait néanmoins l’ancêtre des canards et des oies actuels.
A la fin de l’Yprésien, les dépôts d’argiles plastiques et de lignites déposés dans les marais font place à des sables quand la mer envahit progressivement le bassin de Paris.
Puis une phase tectonique de compression de l’anticlinal en cours de formation provoque l’émersion de ces dépôts marins entraînant en partie leur érosion.
Au Lutétien inférieur (-48,6 Ma) la mer, en provenance de l’Atlantique et de la Manche, atteint à nouveau Saillancourt, déposant des sédiments riches en « glauconie » comme ceux de l’épisode transgressif précédent, au Cuisien. En pigmentant la roche, ce minéral de couleur verte donne le nom de « Glauconie grossière » à cet épisode basal du Lutétien.
Grains de glauconie
L’histoire du Lutétien est une succession d’épisodes marins avec des avancées (transgressions) et des reculs (régressions) du rivage. Dans des eaux de surface chaudes avec une température entre 20 et 25°C, la faune y était diversifiée : oursins, huîtres, requins, raies, etc … comme celle que l’on trouve de nos jours au large des plages tropicales. On se reportera à l’excellent article de Jean-Pierre Gély pour mieux en comprendre la complexité : « Le Lutétien : une période charnière de l’histoire du Bassin Parisien » : http://www.saga-geol.asso.fr/Documents/Saga_284_Lutetien.pdf
Un des fossiles les plus caractéristiques de cette mer lutétienne est le grand foraminifère benthique : Nummulites laevigatus, organisme unicellulaire atteignant parfois un centimètre de diamètre. A la faveur de paléo-courants marins, les tests (souvent baptisés à tort coquilles) se rassemblent pour former des couches très particulières nommées « Pierre à Liards » par comparaison avec les pièces de monnaies anciennes. Ce faciès est surtout représenté au nord de Pontoise, mais assez peu au sud et à Saillancourt.
De telles accumulations caractérisent les dépôts de la fin du cycle transgressif du Lutétien inférieur. Au centre du bassin de Paris, le niveau marin atteint son maximum avec une cinquantaine de mètres. Plus proche des faciès de bordure, à Saillancourt, l’épaisseur de la tranche d’eau au cours des différentes phases de transgression ne dépasse guère la dizaine de mètres.
Au Lutétien moyen se déposent des bancs épais, bien lités, constitués de calcaires durs exploités pour la pierre de taille, dénommés : « Banc à verrins », « Lambourdes », « Vergelés », ou « Banc Royal », visibles dans la carrière de Saillancourt.
Un inventaire des propriétés pétrophysiques des matériaux naturels fut confié à Antoine Laurent Lavoisier, savant surtout connu pour ses découvertes en chimie. Lorsqu’il rédige son ouvrage « Voyage de Beauvais et du Vexin fait en Mai 1766 », il y mentionne « la fameuse carrière de Saillancourt », ce qui nous laisse imaginer qu’il y a deux siècles et demi notre hameau a accueilli cet homme illustre.
Lavoisier fut malheureusement victime de la terreur révolutionnaire. Ayant demandé un sursis pour pouvoir achever une expérience, il s’entend répondre par le président du tribunal révolutionnaire : « La république n’a pas besoin de savants ni de chimistes ; le cours de la justice ne peut être suspendu ». Il sera guillotiné le 8 mai 1794, à l’âge de cinquante ans. Le lendemain, le savant Louis Lagrange regretta le geste du tribunal révolutionnaire en disant ces paroles : « Il ne leur a fallu qu'un moment pour faire tomber cette tête et cent années, peut-être, ne suffiront pas pour en reproduire une semblable ».
Pour découvrir les diverses méthodes d’extraction des pierres de construction dans les carrières du Lutétien, on se reportera entre autres au site :
http://ruedeslumieres.morkitu.org/apprendre/calcaire_grossier/index.html
Le Lutétien supérieur se termine par des marnes et caillasses, les faciès carbonatés devenant moins abondants puisque la mer se retire. Cette période régressive est associée à une activité tectonique structurant l’anticlinal, accentuant le phénomène d’émersion et de retrait général de la mer.
Partis du lavoir, sur la place de Saillancourt, nous avons cheminé le long de la rue de la Goupillère et, à ce stade de l’illustration des paysages géologiques, nous nous trouvons sur le plateau.
Jusqu’à la fin de l’Eocène la mer continue à jouer un rôle prépondérant dans le paysage. Le Bartonien (40,4 / 37,2 Ma – e6 a,b,c sur la carte géologique) se distingue encore par deux phases transgressives :
- l’une à l’Auversien (e6a/ orange clair) décrit à Auvers-sur-Oise, et plus précisément au lieu dit « Bois le Roi », avec des formations des Sables d'Auvers (sables et grès grossiers à stratifications entrecroisées, d’origine marine, le paysage correspond à une mer peu profonde proche d’un littoral avec des lagunes bordières) et des Sables de Beauchamp (sables et grès fins à stratification horizontale, d’origine continentale), cette phase de régression marque une nouvelle activité tectonique sur les anticlinaux vers -40 Ma.
- l’autre au Marinésien (e6c/ jaune clair, décrit dans la localité de Marines), où vers -38 Ma une brève transgression marine vient recouvrir les paléosols auversiens, alternant avec des paysages de lagunes lacustres. Les périodes transgressives sont de plus en plus brèves et les mouvements tectoniques de plus en plus fréquents, faisant alterner ainsi périodes de submersion et d’émersion, c'est-à-dire phases de dépôts et phases d’érosion.
Entre les phases transgressives, le bassin, isolé de la mer, accumule les eaux de ruissellement pendant les périodes pluvieuses. Dans cette cuvette, se déposent d'abord des argiles, puis des marnes, et enfin des calcaires : d’où une apparente alternance de bancs essentiellement lacustres et très riches en fossiles : « calcaire de Ducy », « sables de Mortefontaine », « calcaire de Saint-Ouen » (e6b/ bleu sur la carte géologique).
Reconstitution de paysage à la fin de l’Eocène vers – 38 Ma.
Nous arrivons maintenant à l’extrémité du Bois Coulbaut et à ce stade de notre promenade nous pouvons imaginer ces paysages géologiques de la fin du Bartonien selon la représentation ci dessus.
Au delà, en traversant la route reliant La Villeneuve Saint Martin à Courdimanche se trouve un affleurement et une ancienne exploitation de marnes gypseuses appartenant au Ludien, dernier étage stratigraphique de l’Eocène (décrit à Ludes près de Reims, e7 rose mat sur la carte géologique).
Les trois masses de gypse, appartenant au Ludien, se sont déposées dans un contexte semi-aride et quasi continental. Les passées marneuses, à faune marine, intercalées entre ces couches de gypse marquent de brefs retours de la mer.
Le gypse, exploité dans la butte de l’Hautil par galeries souterraines, est épais d’une dizaine de mètres localement. Il constitue la base des villages de Courdimanche et Menucourt.
(Pour connaître la formation et l’exploitation du gypse on se reportera aux sites :
http://ruedeslumieres.morkitu.org/apprendre/gypse/index.html
et : www.museeduplatre.fr/gypse_de_cormeilles.pdf ).
Les buttes témoins laissées par l’érosion quaternaire sont constituées de séries d’âge oligocène.
La limite Eocène - Oligocène (-33,9 ± 0,1 Ma) est marquée par une extinction massive des espèces liée vraisemblablement à un impact de météorite.
Cette nouvelle période géologique correspond aussi à un refroidissement général du climat, une aridité croissante et, par conséquent, un développement de paysages de type savane, les nombreuses forêts tropicales font place à des forêts tempérées d’arbres à feuilles caduques. Ces modifications de l’environnement affectent également les faunes et l’Europe connaît une importante migration d’animaux en provenance d’Asie. La limite supérieure avec le Miocène (23,03 ± 0,05 Ma) coïncide également à une transition climatique vers des températures plus froides.
A la base de l’Oligocène, les premiers paysages se présentent sous la forme de lagunes lacustres ou marines dans lesquelles se déposent des calcaires ou marnes (Calcaires de Sannois, g1 vert sur la carte géologique et formation des « Marnes vertes »).
A l’Oligocène moyen, au Stampien (de Stampae nom latin d'Etampes), les « marnes à huîtres » et la formation des « Sables et grès de Fontainebleau » proviennent encore de dépôts marins. Ce sont les témoins de la dernière incursion marine dans le bassin de Paris.
Les paysages marins font alors place à des lacs. Au sommet de la butte de l’Hautil, les séries d’âge Aquitanien (Miocène inférieur -23,5 Ma) montrent des dépôts particuliers dus à un processus d’altération ou le calcaire a été dissout : la meulière, correspondant à des paysages lacustres d’eau douce. Réputées pour leur qualité, ces pierres ont été utilisées localement pour de nombreuses constructions : maisons d’habitation, bâtiments de gares le long de la ligne CGB (″Compagnie des Chemins de Fer de Grandes Banlieues″ qui faisait halte à Saillancourt) par exemple.
Carrière de meulières à Boisemont
Après le dépôt de ces séries lacustres intervient une période d’émersion, au cours de laquelle les processus d’érosion dominent au gré des alternances climatiques, les paysages passant de la forêt boréale à la steppe.
Pendant ces périodes d’émersion, les agents naturels, et principalement l’eau à travers le réseau hydrographique, ont modelé le paysage tel que nous le connaissons actuellement, laissant apparaître les buttes témoins de l’Hautil et de Courdimanche, incisant les bancs les plus durs à l’extrémité de l’anticlinal, là où ils étaient fragilisés par des fractures résultant des contraintes tectoniques.
La place de Saillancourt se trouvant à la cote 75 mètres et les dépôts de meulière à l’altitude 190 mètres, pour revenir au lieu de départ de cette promenade géologique, à hauteur des argiles et lignites du Sparnacien, il faut éroder les différentes couches qui ont formé ces différents paysages sur 190-75 = 115 mètres d’épaisseur. Comme si, pendant 23 millions d’années, le rû de Saillancourt, avait charrié un volume de sédiment plus ou moins équivalent à 40 mètres cube/an. Toutefois les processus d’érosion n’étant pas des phénomènes continus, cette valeur n’a pas de réalité physique et il faut imaginer des évènements torrentiels avec des valeurs éventuellement plus importantes.
Quel futur ? Les mouvements tectoniques n’ont pas cessé, des microséismes imperceptibles, ont été enregistrés en 1910 à Noailles et 1841 à Marines, signe que la contrainte sur l’anticlinal de Vigny existe toujours - mais de faible intensité. Et le climat ? Comme nous venons de le voir il est variable à l’échelle géologique. Si - aujourd’hui - des modifications climatiques se confirmaient, la biodiversité devrait s’adapter, les ressources en eau seraient affectées, les risques météorologiques (pluies, vents) apparaîtraient là où ils étaient rares. Avec la tectonique des plaques et le changement climatique, une chose est sûre : il n’existe pas d’état stable en un lieu et le paysage évolue sans fin. Le voir changer à l’échelle humaine est un autre problème.
On pourra consulter les sites suivants :
http://pedagogie.ac-amiens.fr/svt/lithotheque/pages/plaquette_picardie.html
http://dinothers.e-monsite.com/rubrique,images-gt-gastornis,221778.html
http://spershon.wifeo.com/fossiles-du-cuisien.php
http://www.univ-lehavre.fr/cybernat/pages/cenomanq.htm
http://www.svt.ac-versailles.fr/archives/docpeda/banques/Limay/docs/article2.htm
http://www.mnhn.fr/mnhn/geo/collectionlutetien/lutetien3.html
http://ruedeslumieres.morkitu.org/
http://www.saga-geol.asso.fr/Documents/Saga_291_Oise.pdf
http://www.paleospot.com/galerie_rubrique.php?rub=8